Statistique et idéologies scientifiques
Thierry Foucart
La pratique de la statistique appliquée met les statisticiens en contact avec des spécialistes de disciplines diverses, que l’on peut répartir suivant une typologie classique en deux groupes : sciences de la nature (ou sciences dures) et sciences de l’homme (ou sciences molles). Les méthodes statistiques utilisées et la façon d’en interpréter les résultats dépendent de la nature des données étudiées : il existe en effet une différence essentielle entre les données issues des sciences de la nature, dans lesquelles l’homme n’est pas directement concerné, et dont les démarches sont clairement identifiées (Claude Bernard, Karl Popper), et celles qui sont issues des sciences de l’homme et qui nécessitent un recul du praticien, une sorte d’abstraction de lui-même. C’est ce recul, que Max Weber appelle la neutralité axiologique, qui donne une valeur scientifique à la démarche du spécialiste des sciences sociales et humaines, qui lui permet de considérer les faits sociaux comme des objets.
Ce recul ne peut toutefois donner la même valeur scientifique aux résultats des sciences de l’homme et des sciences de la nature. Il est bien sûr impossible à respecter intégralement, même s’il est explicitement recherché. Dans certains cas, il est totalement ignoré, ce qui donne à la démarche un caractère idéologique : c’est ce que l’on appelle l’idéologie scientifique. La science est alors instrumentalisée pour démontrer des vérités qui ne sont en réalité que des convictions personnelles et dont la scientificité se limite à la forme. Nous proposons dans cette communication une sorte de déconstruction des idéologies scientifiques.
Le premier exemple est donné dans l’ouvrage intitulé « The bell curve », dans lequel les auteurs Murray et Herrnstein, se fondant sur des analyses statistiques nombreuses et relativement complexes comme des régressions linéaires multiples et logistiques, interprètent des résultats d’une façon pourtant très contestable : ils prétendent ni plus ni moins apporter une preuve scientifique de l’infériorité de certaines races humaines sur d’autres. Les résultats de leurs analyses statistiques montrent selon eux qu’aux états-unis, les noirs ont une moins bonne réussite sociale que les autres races toutes choses égales par ailleurs, et la seule explication possible est selon eux une hiérarchie raciale. Comment un journaliste ou un philosophe convaincu de l’égalité des races peut-il contester les résultats d’un modèle linéaire et l’interprétation d’un coefficient de corrélation partielle ? Les arguments dont il dispose relèvent des sciences « molles » et lui paraissent bien faibles – à tort – par rapport à une argumentation relevant des sciences « dures ». La contestation de cette thèse est surtout le fait de scientifiques : la plus connue a été publiée par S.J. Gould, dans son ouvrage « La mal-mesure de l’homme ». Sa démarche consiste à montrer les limites des méthodes statistiques utilisées par Murray et Herrnstein, ce qui lui permet de contredire totalement leurs raisonnements et de mettre en évidence l’idéologie raciste sous-jacente. Il a utilisé la même démarche scientifique que les auteurs dont il condamne les conclusions.
Le deuxième exemple est fourni par le journal Le Monde. On trouve dans le numéro daté du 28 octobre 2000 un article de Pascale Kremer intitulé « la vie ordinaire des enfants de parents homosexuels ». Cet article relate un mémoire de pédopsychiatrie soutenu par le docteur Stéphane Nadaud, sous la direction du professeur Manuel Bouvard du CHU de Bordeaux qui déclare : « nous avons abordé ce sujet encore tabou en France comme des explorateurs, en dehors de tout a priori scientifique, social ou culturel, avec la plus grande rigueur méthodologique possible». Les titres des paragraphes sont les suivants : Le développement, TROIS QUESTIONNAIRES, CONCLUSIONS RASSURANTES. En lisant l’article, on apprend que cette rigueur méthodologique a consisté à analyser les résultats d’une enquête effectuée sur un échantillon de 58 couples, que ces couples sont tous membres de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, et qu’ils sont de bon niveau socio-économique (85% ont fait des études supérieures). L’utilisation de pourcentages calculés sur cet échantillon cache la faiblesse de l’effectif : des pourcentages de 2%, 12% (cités dans le mémoire) correspondent à un et sept cas. On apprend aussi que ce sont les parents qui ont rempli les trois questionnaires, et que ni Stéphane Nadaud ni Manuel Bouvard n’ont vu les enfants. Quand Stéphane Nadaud conclut que la population étudiée est « non pathologique », on peut se demander s’il diagnostique les psychoses infantiles en se limitant à questionner les parents. La méthodologie utilisée est en totale contradiction avec les règles élémentaires du recueil de données médicales, psychologiques et sociales. Le journaliste évoque dans son article le biais dû au choix de l’échantillon mais cela ne l’empêche pas de conclure de façon rassurante sur les difficultés éventuelles des enfants adoptés par des couples homosexuels. Nous avons là un exemple typique d’idéologie scientifique, qui utilise à la fois une argumentation pseudo-scientifique et un langage péremptoire empêchant tous deux la critique. On pourrait même penser que l’affirmation de la scientificité de l’analyse par Manuel Bouvard doit être comprise comme sa négation, compte tenu de l’assurance avec laquelle elle est exprimée et des conditions dans lesquelles l’enquête s’est déroulée (les psychanalystes appellent cette forme d’expression une dénégation). D’ailleurs, placer les a priori scientifiques au même rang que les a priori culturels ou sociaux témoigne de l’ignorance de la différence entre sciences de la nature et sciences de l’homme. Malgré des mises en garde (Lacroix, 2003), Le Monde continue à accorder à cette étude une valeur scientifique qui ne peut guère s’expliquer que par l’enjeu de la question et vraisemblablement l’implication du journaliste dans la dynamique en cours concernant l’adoption d’enfants par les couples homosexuels.
Citons enfin l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (M. Jaspard, 2000). La procédure utilisée pour recueillir les informations (un questionnaire très long administré par téléphone), est très discutable et la pertinence des réponses très loin d’être assurée. En n’interrogeant que des femmes, on n’accède qu’à la moitié des informations sur les conflits qui ont dégénéré en violences physiques ou psychologiques : il ne s’agit pas bien entendu d’excuser ici la violence faite aux femmes, mais de montrer que la restriction de l’échantillon aux femmes limite et biaise la réflexion sur le fait social observé. Cette enquête est orientée dès sa conception vers la victimisation de la femme et par suite vers la criminalisation de l’homme. Les résultats ne peuvent être qu’à l’image de cette orientation initiale, fixée par le commanditaire de l’enquête, le Secrétariat d’État aux Droits des femmes et à la formation professionnelle. La nature du commanditaire donne un caractère officiel à cette enquête et la conformité des résultats à la volonté des groupes de pression rend difficile toute contestation publique. Il y a là une soumission politique à la dynamique féministe internationale caractérisée par un engagement du gouvernement français pris lors de la Conférence mondiale des femmes tenue à Pékin en 1995.
Dans le premier exemple, l’idéologie scientifique n’est pas acceptable publiquement, au moins en France[1]. Défendre cette idéologie fait courir le risque d’une condamnation, de même que diffuser des textes révisionnistes. Elle a certainement eu du succès dans les milieux racistes, mais elle n’est plus publiquement à l’ordre du jour. L’explication de son succès est l’aveuglement de ceux qui y adhérent devant leurs passions : elle est de l’ordre de l’irrationnel. Dans le second exemple, l’idéologie défendue n’est pas considérée comme scandaleuse, du moins actuellement et dans les sociétés occidentales[2]. Elle satisfait des revendications reconnues et est toujours actuelle. Cette persistance s’explique par l’apparence raisonnable, rationnelle, de la réponse qu’elle donne à un problème très complexe (Boudon, 1986). L’influence internationale du féminisme, que l’on observe dans le troisième exemple, montre que la statistique n’est pas indemne du débat politique et des mouvements d’opinion. La manipulation statistique ici est une arme au même titre que l’information et la communication pour des armées en campagne.
Dans les sciences de l’homme, les idéologies scientifiques font appel très fréquemment aux mathématiques appliquées et en particulier aux techniques statistiques et à la modélisation pour effectuer des observations et les interpréter. L’idéologie scientifique, dans ce contexte, consiste alors à orienter à la fois les observations et les modèles pour donner une argumentation scientifique à des idées établies a priori et conforter des jugements de valeur. Cette démarche apparaît clairement dans les trois exemples que nous avons cités.
Dans le cas où les méthodes scientifiques mises en œuvre sont simples, il y a un choix a priori des résultats statistiques présentés : on cite les résultats qui confortent l’idéologie scientifique, on écarte ceux qui la contredisent. L’interprétation des résultats sélectionnés est donnée de façon péremptoire en exploitant la tendance naturelle des gens à confondre relation statistique et relation de causalité. L’explication est proposée de façon à correspondre à l’intuition immédiate, à un désir inavoué, à une culpabilité inconsciente, ce qui fait disparaître l’esprit critique. Le langage, l’expression sont eux-mêmes utilisés dans le même but, les références bibliographiques sont nombreuses, souvent américaines, inconnues des lecteurs et sélectionnées de la même façon que les chiffres produits.
Quand
A. Fouque regrette qu’en Europe 80% des personnes âgées vivant de l’aide
sociale sont des femmes (Fouque, 1995, p. 258), on ne peut que compatir à ce
qui apparaît au premier abord comme une injustice. Une réflexion un peu plus
approfondie montre qu’A. Fouque oublie simplement que les hommes du même âge
sont souvent morts puisque les personnes âgées prises en charge par
l’assistance sociale ont fréquemment plus de 80 ans et que, par suite, ce sont
en très grande majorité des femmes (au moins 75%). En outre, l’argument
s’inverse facilement : être pris en charge par l’assistance sociale est
évidemment le signe d’une détresse, mais cela reste un avantage social dont on
pourrait dire que peu d’hommes bénéficient puisque la plupart sont morts. Le
langage est ici un élément important de conviction : il n’est pas
équivalent de protester violemment contre ce que l’on affirme être une
injustice et de citer des pourcentages en discutant de leur interprétation. Il
suffirait de changer l’expression « vivant de l’aide sociale » par
« bénéficiant de l’aide sociale » pour que le sens de la phrase soit
inversé.
É.
Badinter (1990) cite sans réserve les enquêtes sur lesquelles les féministes se
fondent pour promouvoir leurs idées, par exemple une enquête du magazine
Cosmopolitan donnant 24% (une sur quatre !) de femmes violées aux états-Unis (p. 207) : se fier à ce
pourcentage revient à considérer que c’est une guerre civile entre hommes et
femmes qui se déroule aux États-unis, alors que tout statisticien sait
que la valeur scientifique de ce genre d’enquêtes largement répandues dans les
idéologies scientifiques est quasiment nulle. Ce pourcentage est accepté parce
qu’il confirme toute l’analyse féministe antérieure, mais à chaque pas de cette
analyse, on utilise le même procédé, en sélectionnant les chiffres pour
confirmer ce qui précède. Il s’agit en quelque sorte d’un arbre de décision dont
on n’aurait conservé qu’un seul chemin, de façon à aboutir à la conclusion
voulue, alors que même en choisissant la meilleure décision possible à chaque
étape, on n’est pas sûr d’obtenir le résultat le plus probable (figure
ci-dessous).
Les
méthodes de traitement de l’information ne se limitent pas à établir des
pourcentages. Certaines, comme l’analyse factorielle, la régression linéaire
multiple, donnent des résultats graphiques et numériques dont l’interprétation
est réservée aux spécialistes. La manipulation est alors d’une autre
nature : le caractère scientifique de l’étude est donné par la complexité
des résultats publiés et le statut socioprofessionnel des auteurs.
C’est
le cas des exemples précédents : les méthodes statistiques utilisées sont
des méthodes puissantes, les résultats sont ininterprétables par des
non-scientifiques, et les auteurs des enquêtes sont des chercheurs, des
universitaires qui usent de leurs fonctions, de leur grade pour appuyer leurs idées
a priori. La spécialité scientifique des universitaires n’est guère importante,
et on signe « chercheur au CNRS », « universitaire »,
« professeur agrégé », « docteur », un texte scientifique
dont l’orientation ne correspond pas toujours à la spécialité de son auteur, de
la même façon que l’on signe une pétition à caractère politique. Ces
signataires abusent de leur statut et de son image dans le public pour donner
autorité à leurs opinions sur des sujets dont ils ne sont pas spécialistes, et
par suite pas plus compétents que n’importe qui pour en débattre.
Les
conditions dans lesquelles ce statut est accordé sont parfois pour le moins
surprenantes. Les diplômes sont délivrés par l’Université, et la lecture d’une
biographie de Michel Foucault laisse pantois : il suffisait, alors qu’il
enseignait la psychologie à l’université de Vincennes, qu’un étudiant glisse
une feuille blanche avec son nom sous la porte de son bureau pour obtenir la
licence. Certains jurys de thèse ou équipes de recherche sont constitués sans
prendre en compte les impératifs scientifiques, en écartant les personnalités
gênantes, l’objectif étant de valider des travaux et non d’en contrôler la
valeur. C’est une méthode bien connue qui a permis à des historiens
révisionnistes d’obtenir une thèse de doctorat.
Les résultats des enquêtes sont
donc publiés sous l’autorité de leurs auteurs, dans des revues dont les
referees chargés d’examiner les articles soumis sont dans la dynamique voulue.
Ils seront repris dans d’autres publications pour appuyer l’idéologie
scientifique. Les enquêtes sur les enfants de parents homosexuels, sur les
violences faites aux femmes … s’ajoutent ainsi aux enquêtes précédentes sur les
mêmes sujets, dont la valeur scientifique n’est pas plus garantie. Elles seront
citées pour appuyer l’idéologie scientifique qu’elles défendent, de la même
façon qu’elles citent les précédentes : elles se confortent les unes les
autres. La vérité « scientifique » d’une idéologie est peu à peu
fondée sur le nombre d’études qui la confirment, sans considération de leur
validité scientifique : il suffit alors de multiplier ces études pour
renforcer le caractère apparemment scientifique de l’idéologie.
L’idéologie scientifique concerne l’ensemble des disciplines, surtout celles dont les progrès sont récents. Le conflit sur la « mémoire de l’eau » (J. Benveniste), qui date d’une époque où il était question d’améliorer le remboursement des médicaments homéopathiques par la sécurité sociale, montre l’existence de cette démarche dans les sciences de la nature. On pense aussi à la génétique dont les progrès donnent à l’homme une maîtrise de plus en plus grande sur le vivant. Les débats sur ce que la société doit faire de ces progrès sont nombreux (en France : Axel Kahn, Dominique Lecourt, Jean-Claude Guillebaud, Henri Atlan, Monette Vacquin etc.) et ouvrent la porte à la propagation d’idéologies scientifiques d’inspiration religieuse, communautaire ou même sectaire.
Dans les sciences de la nature, ces idéologies apparaissent souvent clairement ou sont relativement faciles à déceler : la théorie de Lyssenko (qui prétend que les caractères acquis sont héréditaires) n’a jamais convaincu que Staline et les expériences de Benveniste sur la mémoire de l’eau (qui conserverait la trace de produits dissous puis éliminés) n’ont jamais pu être reproduites. Les idéologies scientifiques sont beaucoup moins visibles quand les problèmes abordés sont des problèmes sociaux et humains, que les sciences utilisées ne sont plus des sciences de la nature, dont les résultats sont réfutables, mais des sciences de l’homme, dont les résultats ne le sont pas.
Une idéologie scientifique dans les sciences de l’homme est
donc souvent difficile à contredire, surtout par des observateurs peu au fait
de la démarche scientifique utilisée. La présentation des résultats sous forme
numérique et graphique, l’utilisation de l’ordinateur et de logiciels donnent
une apparence scientifique et rigoureuse au raisonnement et empêchent les
humanistes traditionnels de les contester et même simplement de les critiquer.
Les spécialistes des sciences humaines, les journalistes, les responsables
politiques et sociaux ont souvent l’impression qu’un résultat établi par une
démarche scientifique ne peut être contesté que par une démarche analogue, de
même nature, qu’ils ne maîtrisent évidemment pas en général. Le biologiste S.
J. Gould (1997) parle même de « l’anxiété que suscitent les chiffres
chez les commentateurs non scientifiques » (p. 383).
Il est donc assez naturel que la réfutation des idéologies scientifiques soit le fait de scientifiques. On peut distinguer plusieurs genres de difficultés pour effectuer une telle réfutation.
L’expérimentation, possible dans
les sciences de la nature, est presque toujours impossible dans les sciences de
l’homme, et une simple expérience ne peut contredire une théorie dans les
sciences de l’homme à l’inverse des sciences de la nature.
On peut évidemment examiner les
procédures statistiques utilisées, mais alors ce sont ces procédures que l’on
critique, et non l’idéologie sous-jacente. L’argumentation devient technique,
inaccessible au grand public qui n’est pas en mesure d’apprécier la solidité
des arguments.
L’intérêt scientifique de la
réfutation est limité. Les critiques portées sur les enquêtes comme l’ENVEFF ou
la vie ordinaire des enfants de parents homosexuels ne sont pas contestables,
et même souvent évidentes. L’absence quasi systématique de commanditaire d’une
enquête contradictoire compromet la diffusion de la réfutation.
D’ailleurs, la réfutation a
toujours du mal à se faire entendre du grand public, surtout lorsque
l’idéologie scientifique s’inscrit dans une dynamique à la mode, soutenue par
des groupes de pression, des associations revendicatives, des personnalités du
monde médiatique. En réalité, il faut du temps pour que la réfutation
soit publique, plus de 25 ans par exemple pour que les signataires bien connus
d’une pétition de défense d’un pédophile regrettent de l’avoir signée (Georges,
2001).
La confrontation entre un scientifique et un idéologue a des effets pervers. Elle valorise l’idéologue en le mettant sur le même pied que le scientifique, et ce n’est pas par la raison que l’on peut combattre une conviction qui n’est pas rationnelle. La Fontaine le savait déjà (livre IX, le dépositaire infidèle) :
« Quand l’absurde est outré, l’on lui fait trop d’honneur
De combattre par raison son erreur :
En outre, ce n’est pas seulement une théorie des sciences de l’homme que l’on conteste, ce sont les gens qui en sont convaincus et qui la défendent : S.J. Gould ne se limite pas à réfuter les thèses de Murray et Herrnstein, il critique ces derniers eux-mêmes, il les accuse de racisme. L’absence d’idéologie scientifique contradictoire isole le contradicteur. Il y a un conflit personnel entre ce dernier et les tenants de l’idéologie scientifique qui peut avoir des conséquences sur l’évolution de sa carrière. Cela n’encourage guère à contester les conclusions d’une enquête officielle produite pour défendre une idéologie.
« Les mots sont, on l’a dit, autant les objets que les instruments des conflits idéologiques et politiques. C’est pourquoi ils sont, volontairement ou non, utilisés de manière équivoque » (Schnapper, 1994, p. 57). Au choix délibéré des mots une idéologie scientifique ajoute l’usage dévié des méthodes scientifiques et des interprétations abusives. Sa déconstruction permet de retrouver les motivations conscientes ou non, volontaires ou non, de ceux qui la diffusent. Par exemple, la confusion entre les pourcentages et les probabilités montre la tendance actuelle à considérer les individus comme égaux entre eux, et à nier les différences individuelles : on peut penser que c’est une conséquence de l’état providence (D. Schnapper, 2002) et le signe d’un « égalitarisme primaire ». On trouvera une déconstruction complète du féminisme par la psychanalyse dans l’ouvrage de Michel Schneider Big Mother.
Nous terminerons par cette citation de
Tocqueville (p.310) : « Quand la
statistique n’est pas fondée sur des calculs rigoureusement vrais, elle égare
au lieu de diriger. L’esprit se laisse prendre aisément aux faux airs
d’exactitude qu’elle conserve jusque dans ses écarts, et il se repose sans
trouble sur des erreurs qu’on revêt à ses yeux des formes mathématiques de la
vérité.
Abandonnons donc les chiffres,
et tâchons de trouver nos preuves ailleurs. »
Cette conclusion est paradoxale, venant d’un statisticien. L’auteur espère qu’elle suscitera réflexion.
Badinter E., 1990, XY, de L’identité masculine, Le Livre de poche, Paris.
Boudon R., 1986, L’idéologie, ou l’origine des idées reçues, Fayard, Paris
Georges P., 2001, Autre temps…, Le Monde du 22 février.
Gould S.J., 1997, La mal-mesure de l’homme, Odile Jacob, Paris.
Herrnstein C., P. Murray, 1994, The bell curve, The Free Press, New York
Jaspard M. et coll., 2000, enquête ENVEFF, Institut de Démographie de l'Université Paris 1 Centre Pierre Mendès-France, 90 rue de Tolbiac, 75634 Paris cedex 13
Lacroix X. , 2003, Homoparentalité, Les dérives d’une argumentation, ETVDES, Paris
Schnapper D., 2002, La démocratie providentielle, Gallimard, 2002
Schnapper D., 1994, La communauté des citoyens, folio essai p.57, 2003 (Gallimard 1994,
Schneider M., 2002, Big Mother, Odile Jacob, Paris.
Tocqueville, 1981, De la démocratie en amérique , tome I, Garnier Flammarion Paris.
[1] Contrairement à la législation française (la loi Gayssot), les lois américaines n’interdisent pas la publication de ce genre d’ouvrages, et contrairement à certains intellectuels français, S.J. Gould s’en dit très satisfait puisque cela lui donne l’occasion d’en contester violemment les thèses.
[2] L’islam par exemple réprouve totalement l’homosexualité.